Mille loisirs tu pratiqueras
Les loisirs sont une partie importante de la vie, de 7 à 77 ans. Ils permettent de se déconnecter des rudesses de l’existence. Dans ma jeunesse, on me planifia un agenda de ministre : piano, danse, équitation, natation. Dans cette farandole d’activités, on m’initia à la danse « modern jazz », au principe séduisant : une musique entraînante, une chouette équipe de copines et une prof dynamique. Ce qu’on sait moins de l’extérieur est le mécanisme social derrière ces pirouettes et déboulés. Ouvrons le rideau sur ce monde d’ombre et lumière.
Les petits rats de l’Opéra : description d’un microcosme
Une leçon de danse est une société recréée, composée de citoyennes en chaussons. Je l’ai appris étant gamine, goûtant aux joies de la hiérarchie sociale avec un personnage de cet univers dansant, la « Cheffe toute – puissante ». Au niveau psychologique, la Cheffe tire son autorité d’un caractère affirmé, mais ne rimant pas toujours avec subtilité. Au physique, elle se distingue par un port altier (comprenez droite comme un piquet) et une crinière de rêve. Les petits rats de l’opéra, les autres danseuses, « l’admirent » et lui prêtent allégeance. Vous l’avez compris, j’étais un de ces petits rats.
L’avant-spectacle: répétitions martiales
Chaque deux ans arrive le spectacle et le temps des répétitions. Les chorégraphies sont répétées inlassablement, la place de chacun est déterminée. Au garde-à-vous, aucun bras ne dépasse! Le point positif de cette hygiène militaire est d’imposer une ponctualité et une rigueur qui fera de vous le cadre le plus dynamique de votre start-up…peut-être. Les chorégraphies sont tellement répétées qu’au moment du spectacle, les jambes et les bras semblent « danser tous seuls », ce qui permet d’oublier le trac et donner le maximum sur scène.
Sous le feu des projecteurs
Après que les chorégraphies aient été répétées, vient l’heure F comme fatidique de la représentation. La fourmilière s’active silencieusement en coulisses. Dans les gradins, les parents se pressent à leur siège, tout émus de voir leurs enfants faire le show. Les professeures donnent les dernières instructions avant de brûler les planches: garder le dos droit, tenir sa place, toujours avec un sourire impeccable. Si danser devant un public reste impressionnant, cela permet d’apprendre à s’assumer en société, la tête droite et le feu dans les yeux.
Après les pirouettes, les sauts, les sourires, le spectacle touche à sa fin. Arrive le moment du final où tous les danseurs envahissent la scène pour une dernière danse collective, dans une ferveur presque rituelle. Pendant la révérence, la foule applaudit à tout rompre…Le travail acharné d’une année a payé. C’est la minute lacrymale.
Un retour et une révélation
Pendant 5 ans, j’ai quitté la danse pour l’université. Je suis retournée à la danse après ma libération académique, avec un groupe d’élèves plus matures. Par cette nouvelle configuration, la figure de la « Cheffe toute-puissante » avait disparu. L’esprit d’équipe était revenu, comme au foot, mais sans les crampons.
Le dernier spectacle, basé sur des correspondances de Corinna Bille et Maurice Chappaz, m’a rappelé mes anciennes représentations. Durant ces années, j’ai incarné des multiples personnages, mais le plaisir de danser est intact. Parfois, fatigués, on souhaiterait quitter le bal sur la pointe des chaussons, mais l’amour de la danse nous fait toujours revenir sur scène, pour une dernière valse à trois temps…
Salutations dansantes,
Sïana Tréma


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