Anaïs Zufferey

Tabac rouge, une pièce de James Thiérée, vue au Théâtre du Passage (NE).

Il y a quoi sur scène ? Des câbles, des barres, une table ensevelie sous le désordre,  et des fils qui s’entremêlent. Un vieillard chancelant, tantôt abattu, tantôt hystérique, face à un fils fier comme un coq. Ce curieux équipage est accompagné de six danseuses contemporaines, qui rappellent étrangement les sirènes dans l’épopée Ulysse, d’Homère.

Le père et le fils   Sur scène, ils sont les chefs d’orchestre. Il y a le jeune, en complet costard, coupe de cheveux gominée et plaquée sur le crâne. Rien ne semble l’atteindre et il charme les filles autant bien qu’il influence son père pour un héritage prochain. Le père, lui, est fatigué du boucan que provoque la jeunesse de son fils. Incarnant la sagesse de l’âge, un claquement de doigt lui suffit pour faire cesser le boucan créé par son fils et ses naïades. Une pièce qui reflète, sans jugement de valeur, le conflit des générations.

Notre société?  Des sujets épineux apparaissent par flash. Le tabac, en première scène. Le jeune fume, et la scène se remplit de fumée. Malaise, étouffement…il y aurait-il un message de santé publique à faire passer? L’avidité Le jeune n’aura de cesse de faire signer des papiers à son père pour « ne pas l’oublier » dans l’au-delà. De son côté, le vieux a sa petite idée sur la manière dont les jeunes doivent vivre leur vie (il n’y pas une ligne en français dans cette pièce, sauf un sermon très drôle du père, mélange d’italien et différents argots). L’amour Le fils rencontre une belle demoiselle, leurs mains se lient, ils dansent. Soudain, monsieur et madame se rendent compte qu’ils tombent dans l’inconscience et le lâcher-prise de l’amour. Ils s’éloignent sur les pointes, mais leur regards ne se quitteront plus. Education et Commerce Les jeunes danseuses sont alignées de dos, se moquent du même personnage en même temps et accomplissent la même chorégraphie. Discrètement mais efficacement, un personnage caché sous un chapeau chinois passe, et voilà…votre héritage a été bien cousu sur soie.

L’infrastructure Il existe des pièces de théâtres composées d’un sol noir et rideaux noirs. C’est contemporain, il parait. Tabac rouge aurait pu tomber dans la noirceur déprimante avec son décor hyper sombre, mais a judicieusement joué avec la lumière qui, exposée à bonne dose, exacerbe la danse et le jeu des comédiens. Un panneau géant, construit avec des barres, fils électriques et miroirs, est tout un symbole. Il est le mur qui sépare le jeune et le père et le mur impossible à franchir pour rejoindre le bonheur de l’autre côté. Il sera aussi une porte pour rejoindre l’être aimé. A la fin, une puissante mécanique le suspend dans les airs et voici un mobile à la Tinguely.

Une vraie découverte et de vrais frissons devant ce superbe spectacle !